C’est le titre d’un de mes livres dont je suis le plus fier. Sans doute parce qu’il pose une des questions les plus profondes sur la vie et qui pourtant n’est jamais posée par aucun philosophe (mais je ne demande qu’à être démenti !). Une question qui interpelle les psychologues, les pédopsychiatres, quelques poètes ; mais tout un chacun ? que nenni ! Et même le père de la psychanalyse s’est lui-même fourvoyé sur la question. Comment ? Quel blasphème ! Simplement en posant le complexe d’oedipe comme un des piliers de la psychologie humaine. Il s’est fondé sur Œdipe Roi, la tragédie de Sophocle et considère que le meurtre premier est celui d’Œdipe qui tue son père Laïos, sans le savoir, à un carrefour. En une phrase, tout enfant rêve de tuer son père et d’épouser sa mère. Et c’est là l’omission tragique de Freud : le meurtre premier n’est pas celui du fils sur son père, le parricide, mais celui de Laïos et de Jocaste sur leur bébé – un infanticide[1] Pour le fin mot, je ne suis pas le découvreur de cette erreur freudienne, c’est Georges Devereux, une personnalité éminente au croisement de la psychanalyse, de l’anthropologie, créateur de l’éthnopsychanalyse et qui proposera le concept de complexe laïosien ou jocastien en remplacement de complexe d’oedipe. Mais ma clinique, mon travail de psy m’a permis de constater cet axiome de Devereux.
Pourquoi cette introduction un peu bavarde ?
Simplement car aujourd’hui la maltraitance allant jusqu’à l’extrême violence et la mort, qui ont sans doute toujours existé, devient plus visible –réseaux oblige- jusqu’à devenir un phénomène de société difficile à camoufler ou à ignorer. L’affaire Outreau, suivie en 2002 par l’affaire des pédophiles d’Angers (qui a peut-être fait moins de bruit médiatique) a eu un effet de choc sur l’Europe. La Belgique ayant été affublée du lourd rôle de bad boy.
Mais ma fonction de psychothérapeute m’empêche de me cacher derrière la mauvaise foi du déni. « Ce sont des criminels, des psychopathes et c’est loin d’être un vrai phénomène de société ». Faux ! J’ai fait un premier livre –Fillettes abusées, femmes en souffrance- qui traite des cas, bien trop courants, d’inceste dont j’ai eu à traiter dans mon cabinet. J’y ai peu évoqué des situations d’inceste accompagnée d’extrême violence. L’inceste étant, en soi, une violence extrême, assimilable à un meurtre psychique. Mais ce que j’ai eu à connaître de certains cas, ainsi que ce que nous donnent à voir des auteurs comme Jean-Pierre Mocky ou des réseaux d’enquêteurs, nous montre des faits d’une noirceur inconcevable pour un cerveau normal. Connaissez-vous le sens du mot snuff movie ? Je vous laisse le soin de chercher. Et ne croyez surtout pas que ce soit une exagération de journaliste. Des milliers d’enfants et de bébés disparaissent et sont vendus dans des réseaux pédocriminels organisés. Le phénomène P.Diddy dont la presse parle à mots couverts est une part visible de l’iceberg. Et un iceberg qui touche jusqu’à la famille royale anglaise.
Mais mon propos n’est pas de faire une revue de presse. Il est juste de pointer quels peuvent être les aspects aussi différents de la parentalité.
Et ce qui me trouble le plus c’est que même dans l’amour le plus authentique –paternel ou maternel- existe un présupposé inconscient -donc inavoué- que l’enfant soit une partie de nous-mêmes, une sorte de protubérance de notre moi, voire une propriété. Les mots parlent : nous faisons des enfants, nous avons des enfants. Regardez ce petit jeu de la ressemblance : c’est tout son père… il a les yeux de sa mère…c’est mon père tout craché. Je vous laisse relire ce magnifique poème de Kahlil Gibran qui est si fort et si vrai ![2]
Autre aspect : considérez ce sentiment d’arrachement, cette souffrance à peine contenue lors du départ du foyer, surtout parfois aux antipodes. Une partie de vous s’en va.
Plus subtils et indiscernables sont parfois des comportements où percent des pulsions meurtrières cachées ; je repense à telle maman asseyant son bébé sur un rebord de fenêtre « pour qu’il puisse voir dehors mais il ne va pas tomber ! ». Peut-on juste sourire de telle maman qui s’exclame, lors de pleurs stridents de leur progéniture « oh, j’ai envie de le foutre par la fenêtre ce gamin » ?
Ce qu’il m’est possible de conclure pour l’instant, c’est que même en excluant les crimes sexuels comme une déviance pathologique de la parentalité, l’amour paternel ou maternel le plus authentique (mais qu’est-ce que c’est ?!) peut prendre des formes limites qui posent question. Lesquelles interrogent à leur tour les aspects paradoxaux de l’amour filial.
Alors, doit-on toujours, forcément, aimer ses parents ?
[1] Pour les curieux, je précise que Jocaste avait reçu une oracle d’un devin prédisant que s’ils avaient un enfant celui-ci tuerait son père et épouserait sa mère. Lorsqu’elle mit au monde son bébé, conçu en ayant attiré Laïos dans sa couche en l’enivrant, ils décidèrent de le faire mourir en le confiant à un serviteur pour l’exposer aux bêtes dans une forêt mais celui-ci désobéit et sauva l’enfant en le confiant à un berger. Il fut lors adopté par le roi de Corinthe dont Oedipe se crut longtemps le fils.
[2] https://www.poemes.co/des-enfants.html