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« L’amour commence toujours par de l’admiration »

Je cite souvent cette phrase lue au décours d’anciennes lectures stendhaliennes. J’ai tendance à la considérer comme un axiome de la vie affective. Je l’ai cent fois vérifiée, expérimentée. Il faut toutefois bien différencier à mon sens aimer, au sens anglais de « fall in love » du raptus, généralement sexuel, qui s’exprime dans le coup de foudre et dont le sentiment d’admiration me semble totalement absent.

J’en voudrais comme preuve par l’absurde ce phénomène que chacun a pu observer sinon vivre où « l’autre » provoque dans un premier temps beaucoup d’agacement. « Ce petit prétentieux, je ne peux pas le souffrir ». C’est pour moi une quasi preuve d’un puissant sentiment d’amour naissant. Il prélude d’ailleurs à cet étonnant sentiment d’identification où l’on pointe avec bonheur les points de ressemblance avec l’objet aimé.

Mais ces états d’âme sont connus et je ne vais paraphraser Ovide ni traiter de l’amour. Non, mon propos est uniquement de creuser cet étrange sentiment qu’est l’admiration et, pour être plus précis, l’importance essentielle pour l’être aimé d‘être admiré.

Pour aller encore plus loin, mon propos est d’insister sur le rôle capital de l’admiration d’un parent pour son enfant. C’est un phénomène que j’ai d’abord éprouvé –et pratiqué moi-même inconsciemment, par défaut- dans mon rôle, ma fonction de père ; mais aussi, dans mon activité professionnelle, lorsque j’ai pu constater, chez des patient(e)s de tout âge, à quel point l’absence d’un tel sentiment chez le père ou la mère  a pu être destructeur -je dirais ravageur- pour le futur adulte. Et j’utilise à dessein le terme « sentiment » et non celui d’ « attitude ». Je m’explique : lorsque le parent exprime son admiration par des mots souvent convenus face à son enfant qui montre avec fierté une réussite, une création et non par un comportement sincère et authentique, ce dernier n’est pas trompé, il détecte l’absence d’une admiration réelle et sincère. L’enfant est un fin psychologue et il n’est pas dupe. Soyez honnête et reconnaissez qu’il vous est arrivé plus d’une fois d’expédier votre enfant avec un « c’est bien mon chéri », vite dit, devant un dessin certes un peu bâclé mais dont vous ne prenez pas la mesure de l’effort qu’il a demandé à son Picasso en herbe et vous repassez tout de suite à votre occupation du moment.

Précision qui me semble importante : je pense que l’admiration ne devrait pas porter sur une victoire accomplie sur autrui mais sur soi-même. Mais c’est une autre question qui nous entraînerait sur la conception qu’on peut se faire sur le rôle de l’éducation qui inclurait –ou pas !- la compétition.

J’ai traité de la question du rôle du regard du père dans la constitution d’un moi solide chez la petite fille* et je me dois d’introduire une distinction ; dans mon livre, je traite d’un phénomène qu’on pourrait nommer un narcissisme primaire naturel, autrement dénommé « besoin de plaire » ; alors que mon propos ici est beaucoup plus rattaché à l’image de soi qui se constitue –ou pas- chez l’enfant qui a été ou n’a jamais été, sincèrement, admiré  pour sa valeur propre et non pour sa beauté ou sa capacité à plaire.

Il me parait capital pour un père ou une mère de se représenter l’effort –les efforts- qu’un bébé puis un petit enfant doit fournir pour « grandir ». Et j’affirme que si ces efforts ne sont pas suffisamment repérés, explicitement, manifestement reconnus, l’enfant va pousser, comme une plante peut pousser, mais son moi le plus profond, le plus intime, va à tout jamais, dans sa vie d’adulte, être grevé d’un manque grave. Son « moi idéal » sera labile, inatteignable.

 

J’ai, encore tout récemment, pu déceler chez des patientes ce genre de carence. Même si elles ont une connaissance factuelle, objective, très claire de leurs compétences, de leurs dons, de leur acuité intellectuelle, celle-ci ne leur suffit pas ; même en présence de signaux clairs de reconnaissance reçus de leurs relations (sociales ou familiales), elles sont traversées d’un doute ravageur, d’un sentiment impossible à neutraliser d’être incompétentes, d’être « nulles » et même leur réussite sociale, leurs diplômes ni la reconnaissance d’autrui ne suffiront pas à annuler ce doute. Pire, elles vont parfois être infiltrées d’un terrible ressenti d’être des usurpatrices. « Je suis reconnue, mais au fond de moi je sais que je ne le mérite pas ».

 

Tous ces éprouvés, toute cette souffrance,  rarement conscientisés, sont une tâche rude à neutraliser pour elles ou pour leur thérapeute.

Pour résumer, si l’admiration est un indice d’amour profond, a contrario, l’absence d’admiration ne peut qu’être interprétée comme un désamour. Certes blessant pour un adulte, mais ô combien destructeur pour un enfant !

*Ce foutu besoin de plaire ...et ce père qui ne m'a jamais regardée. Sept.2019 La boite à Pandore

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