Sound of freedom est un film qui vient de sortir aux USA et qui pourrait ne pas sortir en France ; tellement il est dérangeant. Il s’agit d’un film de fiction sur les réseaux mondiaux de pédocriminalité. Les gens qui ont pu le voir parlent d’un choc émotionnel énorme tant il y est question de trafic d’enfants, de prostitution d’enfants, de meurtres d’enfants et de vente d’organes.
Il risque de ne pas sortir parce qu’il semble déranger aux plus hauts niveaux d’autorité. Jean Pierre Mocky a connu bien des difficultés pour avoir osé faire un film sur le sujet.
Vous avez peut-être vu Spotlight, ce film traitant des crimes commis par des prêtres catholiques et couverts par l’église et dénoncés par l’enquête du Golden Globe.
Sound of freedom va bien au-delà de l’abus sexuel sur mineurs puisqu’il évoque clairement des faits de trafic d’enfants. Karl Zero s’est emparé du sujet, espérons qu’il aboutisse.
Mais la question qui traverse ces sujets révoltants, insupportables, est la question de la violence sur enfants.
Pourquoi Freud ? J’ai évoqué cette question de cette scotomisation (effacement, aveuglement) du père de la psychanalyse dans un de mes livres*. Freud s’appuie sur la pièce de Sophocle –Œdipe-roi- pour créer son concept universellement admis de complexe d’oedipe, comme pulsion meurtrière des fils envers leurs pères accompagnée de désir envers leurs mères.
Le problème est que Sophocle lui-même oublie un détail mentionné dans le mythe : il raconte bien que le fils, sans le savoir, tue son père Laïos lors de la dispute provoquée par un accident de voiture (sic !) à un carrefour. Or la légende décrit bien que c’est Laïos, le premier, qui agresse son fils en abattant son cheval et même en blessant légèrement le cocher!
Freud, comme Sophocle, ne veut pas voir que l’agresseur n’est pas le fils mais le père. Et l’un comme l’autre « oublient » que c’est Laïos qui « expose » Œdipe bébé dans une forêt, voulant sa mort car une prédiction l’avait averti de grands dangers qui lui viendraient de cet enfant.
Et c’est Georges Devereux, l’immense inventeur de l’ethnopsychanalyse qui formule cette rectification, parlant de complexe laïusien ou complexe jocastien devant annuler le complexe d’oedipe.
La sagesse du mythe va véritablement au fond des choses en montrant combien existe en l’homme une pulsion meurtrière envers son enfant. L’explication de Freud, je dois le reconnaître, reste à la surface des choses ; et de nombreuses péripéties dans sa vie montrent d’ailleurs qu’il bute sur une difficulté à se confronter à cette notion de la violence fondamentale.
Le mythe de la naissance de Zeus, que sa mère, Rhéa, devait protéger de la folie meurtrière du père, Cronos, vient renforcer cette thèse. De même, l’ancien testament donne une explication fumeuse à la tentative d’Abraham d’assassiner Isaac. Et l'on sait bien que des sacrifices humains étaient chose courante dans d'antiques sociétés et que c'était couramment des sacrifices d'enfants.
Ce qui semble nouveau, dans notre civilisation en voie de dégénérescence, est qu’à l’idée de meurtre vient s’ajouter une coloration sexuelle qui ajoute encore à l’horreur !
La réalité des faits de violence criminelle sur enfants est terrifiante mais au-delà de la nécessité de faire justice et de punir, il ne faut pas pour autant refuser de voir combien des pulsions meurtrières existent chez chacun de nous et il importe de ne pas les scotomiser. C’est la question centrale de mon bouquin*
* Des enfants ? Pour quoi faire ! 2014 Ed. EME