Impermanence et salade

La Mère Vittet était connue des vieux lyonnais noctambules qui fréquentaient ce restaurant de Perrache et sa salade était célèbre ; (3 salades vertes, allumettes de jambon et de Conté et œuf poché). Or il m’a fallu piocher dans ma mémoire pour en retrouver la recette. Hé oui, on ne trouve pas tout sur Internet !

Quel rapport, me direz-vous avec l’impermanence ? Le restaurant a changé de nom et la recette est oubliée. Deux évènements mineurs ont surgi dans ma vie récente, qui ont résonné avec cette recette oubliée et me parlent de l'impermanence.

Le premier fut que j’ai appris que les CD et DVD ont une durée de vie assez limitée. Or je m’étais jadis appliqué à transcoder toutes les vidéos que j’avais filmées de mes enfants dès leur naissance et leur en avais offert des copies. J’apprenais donc que ces petites pépites de mémoire familiale allaient être effacées, définitivement perdues. Bien sûr je m’empressai d’en faire copie sur disc dur externe. N’empêche, un disc dur sera-t-il toujours lisible dans 40 ans ? Et du coup, les quelques dizaines, voire centaines de CD de musique, soigneusement stockés dans  mes bibliothèques, je découvrais qu’ils allaient aussi bientôt devenir illisibles, perdus à jamais !

Ce fut donc une prise de conscience assez rude. Le début de la sagesse, vous allez me dire ? Eh oui, rien ne dure, tout ce qui naît meurt ; c’est une vérité qui est mienne depuis longtemps et la notion d’« impermanence », bien familière aux bouddhistes et beaucoup de philosophes ne m’est pas étrangère. Elle leur est corrélée à l’idée d’acceptation, de renoncement, d’accès au non-être ou au nirvana.

Toutefois, bien que j’accepte cette idée de disparition, il y a en moi un Camus qui proteste et qui revendique l’absurde et la révolte face à ce sort inéluctable. Je revendique le refus d’Alexis Zorba, l’homme révolté par excellence et qui va mourir debout, dans l’encadrement d’une fenêtre.

Une dernière image : je cherchais il y a peu à retrouver la tombe de mes aïeuls, morts il y a longtemps. La dame du cimetière m’indiqua que leurs corps avaient été déplacés ; dans l’ossuaire.

Ce qui est le plus troublant c’est cette quête désespérée de l’humain de vouloir laisser une trace. Les moines copistes du moyen âge nous ont permis d’avoir l’héritage d’un passé mythifié. Beaucoup pensent comme moi, que le christianisme n’est rien qu’une secte qui a réussi ; pour combien qui se sont évanouies !

J’ai pour projet de visiter un site très troublant ; des hommes, à peine aux débuts de l’agriculture, il y a plus de 11000 ans ont sculpté, érigé des monuments énormes, plus vieux de 7000 ans que les pyramides égyptiennes ! Gobekli Tepe, à l'est de l'Anatolie est une énigme, un démenti au temps qui passe et qui efface, à ce gigantesque "à quoi bon" !

Homo sapiens, ce petit microbe dans l’univers est capable de choses surprenantes…