Je livre à votre réflexion ici un extrait d'un de mes livres - Des enfants? Pour quoi faire! 2014 - et je serais heureux de lire vos réactions à ce sujet, en ces temps où l'on a le temps de réfléchir !
Je voudrais avancer deux points, sans nul doute polémiques :
- je considère que le fait de séparer un enfant de sa mère pendant la première année de sa vie engendre un traumatisme dont on est incapable de mesurer les conséquences. Je m’appuie sur Françoise Dolto qui considère que tout enfant séparé de sa mère pendant la première année de sa vie va développer immanquablement des problèmes de calcul ou d’orthographe dès le début des apprentissages.,
- j’ai entendu je ne sais combien de fois la phrase : dès qu’il est propre je le mets à l’école. Je trouve que mettre un enfant à l’école avant trois ans est une erreur.
Je considère que la socialisation de l’enfant de moins de trois ans ne peut valablement se faire qu’auprès de son père ou de sa mère et de ses frères et sœurs ou, à l’occasion dans le cadre de jardins d’enfants.
Plus jeune, il est confronté à une « société d’enfants » où règne beaucoup de violence ; et c’est tellement normal : ces enfants sont moyennement contents d’être à la crèche, ils ressentent donc des sentiments haineux vis-à-vis des petits camarades. Cette haine, cette agressivité sont le versant « vengeance » de la colère et au-delà de la crèche et de l’école, ils vont éprouver le besoin de développer cette colère contre leurs propres parents puisqu’ils sentent très bien que ce sont eux qui décident de les confier à des tiers, de les « abandonner ».
Le cas bien connu - et cauchemar des directrices de crèches ! - de l’enfant qui frappe ou de l’enfant mordeur est un problème insoluble. Il faudrait et il suffirait … que ses parents le retirent de la crèche ! Ce n’est pas plus compliqué que cela : l’enfant mord ou frappe ses copains avant tout parce qu’il n’est pas content d’être là. Bien sûr d’autres facteurs déclenchants peuvent s’ajouter, tirant leur origine de conflits intrafamiliaux.
Bon, j’ai bien conscience de ce que cette explication n’est pas vraiment politiquement correcte et qu’un consensus n’est pas près d’être trouvé sur ces problèmes.
Autre problème: il va aussi arriver couramment que certains parents aient un vrai blocage, une grande difficulté à communiquer et à jouer avec leur enfant.
Ce n’est pas la généralité mais j’ai souvent observé des familles où, clairement, le père ou la mère a le plus grand mal à s’occuper, à jouer, à simplement passer du temps avec son enfant.
Au premier regard on serait tenté de dire qu’il s’agit d’un manque d’intérêt pour l’enfant mais c’est certainement beaucoup plus compliqué que cela. Beaucoup de parents sont gauches, empotés avec leur progéniture. On a l’impression qu’ils ne savent pas qu’en faire (à commencer par la capacité à jouer ; bien d’autres avant moi (Winnicott) ont pointé l’importance capitale du jeu dans le développement). Certains parents donnent l’impression d’être devant des étrangers, des créatures étranges presque des Alien avec leurs enfants. Alors… merci les consoles de jeux, les activités du mercredi et les McDo !
Il faut bien admettre que ce n’est pas simple d’échanger avec un « petit ».
J’ai moi-même mis un grand temps à me mettre à la portée d’un enfant. Puis-je me permettre de donner deux conseils, fruits d’expérience ancienne ?
- Lorsque vous vous adressez à un enfant, accroupissez-vous, mettez-vous à son niveau ; s’il s’amuse par terre, lorsque vous jouez avec lui, mettez-vous carrément par terre, comme lui.
- Si vous voulez vraiment partager un jeu avec un petit, que ce soit le vôtre ou non, commencez à jouer vous-mêmes. S’il vous voit captivé par votre jeu, il va s’approcher pour jouer avec vous et le contact est noué.
[…]
Je voudrais descendre maintenant un peu plus profond dans les zones obscures de l’âme humaine.
Boris Vian, auteur de théâtre, est peu connu ; pourtant il a écrit une pièce que je trouve remarquable. Il s’agit des Bâtisseurs d’empire. Le sujet en est simple : une famille, le père la mère et une fille outre une bonne vivent ensemble dans un appartement. Est présent sur scène aussi, un personnage curieux, muet, intermédiaire entre un être vivant et une chose suspendue à un portemanteau, le Schmürz. Les personnages semblent très angoissés, se disputent fréquemment mais surtout, à la fin du premier acte sont terrifiés par un bruit terrible venant d’en dessous, se précipitent dans un escalier pour monter à l’étage du dessus, dans un appartement semblable mais plus petit, tandis qu’un des personnages tombe par la fenêtre.
Mais surtout, chaque fois que l’un des quatre personnages est pris en flagrant délit de mauvaise foi, il s’arrange pour aller discrètement donner un coup de pied, un coup de couteau ou de ciseaux au Schmürz, lequel encaisse sans mot dire.
Vous aurez deviné où je veux en venir avec cette métaphore. Tout le monde aura bien compris que chacun de nous a pu utiliser son propre enfant comme un Schmürz. Essayons d’être sincère : à qui d’entre nous n’est-t-il pas arrivé de décocher une gifle à notre enfant sans aucune raison valable, sauf à avoir été contrarié ; ou, justement, avoir été pris en flagrant délit de mauvaise foi ?
En élargissant un peu, nous devons admettre que nos enfants servent souvent, au mieux, de déversoir à nos humeurs ou, au pire, de souffre-douleur. Soyons clairs : je ne suis pas dans une logique d’enfants martyrs ; c’est un trop vaste sujet que je ne veux pas aborder ici parce qu’il sort de mon champ de réflexion. C’est de la petite violence quotidienne que je veux parler. Je pense à un petit patient de cinq ans, dont le père, homme tout à fait estimable au demeurant, est capable d’empoigner par les bras et de crier très fort à quelques centimètres de son visage ou de dire à la mère, devant l’enfant, « il est fou ton gamin ». Dans cette configuration, le psy a l’étrange fonction de tenter d’atténuer l’effet délétère sur l’enfant d’un parent névrosé.
Il suffit d’observer les comportements des familles, par exemple dans une grande surface, pour constater que beaucoup de parents traitent durement leur progéniture ; presque comme une caricature du bon vieil adjudant du temps du service militaire. Ces enfants ont droit à des remarques désobligeantes, blessantes, méprisantes comme s’ils étaient considérés comme stupides et surtout insensibles aux insultes ; pire : ils exigent de leurs enfants une obéissance absolue et immédiate. « Viens ici tout de suite… recommence et tu vas t’en prendre une… j’te le dirai pas deux fois…», le tout sur un ton et un niveau sonore terrifiant.
Juste pour rire : essayez de vous imaginer face à un géant qui fait deux fois votre taille, qui vocifère sur vous et vous menace de coups. Que ressentiriez-vous ? Vous n’en mèneriez pas large ; en fait vous seriez morts de peur même si le géant vous le connaissez très bien !
Alors que peut ressentir un petit bout de cinq ans devant ce géant ?
Tout le monde n’est pas devant « mon père, ce géant au regard si doux ».
Tout le monde n’est pas Victor Hugo.
Je ne veux pas noircir le tableau mais j’y insiste : oserions-nous parler comme cela, éructer, menacer, crier sur un collègue de travail ? sur notre compagne ? sur notre chien ?
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