Il fait nuit. Derrière les vitres, le paysage défile au rythme chaotique de la conduite paternelle. Aveuglé par les phares des voitures en face, chacun s’efforce d’oublier cet étranger au volant, celui qui fait semblant d’être papa.
En fermant les yeux, j’imagine les contours de la route, essayant de deviner notre progression : les virages, les courbes, les arrêts. En les ouvrant, j’aperçois la lune, ronde. Peut-être que je viens de là-haut, envoyée sur Terre pour quelque mission secrète dont je ne sais encore rien.
C’est pour ça que papa est bizarre, il est déguisé en extra-terrestre. Si je me concentre à fond, je vais entrer en communication télépathique avec lui.
A côté de moi, sur la banquette arrière, mon petit frère dort. Le plus grand, pâle, muet, scrute l’obscurité. Qu’espère-t-il y trouver ? Se croit-il, lui aussi, tombé de la lune ? Finalement, je vais chanter. Leur en mettre plein les oreilles pour ne plus les entendre se taire.
Klaxons, insultes, brusques embardées nous plongent en plein Far West. Notre cheval est en tôle et c’est le plus fort du monde. Zigzagant d’un bord à l’autre de la route, chevauchant la ligne blanche, nous sommes les indiens du bitume conduits par le grand chef saoul. Yaouh !
En face, les pur-sang s’énervent, s’affolent, nous foncent dessus. Ouf, bravo Sitting Bull, c’était moins une.
Agressés par les poteaux électriques qui se jettent sur nous, j’ai le vague sentiment d’un danger imminent. Mon jeune âge m’empêche, heureusement, d’en saisir la portée. De comprendre que nos vies tiennent à un verre de trop et que c’est une chance que nous soyons vivants à l’arrivée. Santé !
Rose O.